Homélie pour le troisième dimanche du Carême – 7 mars 2021
Exode 20, 1-17 / Psaume 18a (19) / 1 Corinthiens 1, 22-25 / Saint Jean 2, 13-25
Libres pour Dieu et le prochain!
C’était à Bujumbura, au Burundi, au tournant des années 2000. J’y étais pour un bref séjour. J’aimais bien aller marcher dans les alentours du couvent, après le repas du midi, pour explorer ce monde qui m’était peu familier. Je me souviens m’être attardé un jour dans le secteur très animé du Marché central. J’allais, observant les étals, quand soudain quelqu’un me saisit violemment par les épaules pour me projeter de côté. Sur le coup, j’en fus choqué, mais voilà qu’à l’instant un véhicule passait à bonne vitesse à l’endroit même où j’étais une seconde plus tôt. L’homme venait de me sauver d’un violent accident. Aussi étonné que moi de ce qui venait d’arriver, le gaillard s’en est allé rapidement à ses affaires. Et je me disais que c’était grâce à lui que j’étais là indemne, heureux d’avoir échappé au pire.
Aujourd’hui, dans le Temple de Jérusalem, la scène du grand marché du Temple est le théâtre d’une intervention violente elle aussi. Le geste de Jésus paraît même brutal. Il n’est pourtant le fait ni d’une impulsion passagère ni d’un agresseur terroriste. Jésus produit un geste sauveur, un acte d’amour et de libération. Ce geste d’éclat, il le pose pour de bonnes raisons, qui sont au cœur de son témoignage, de sa mission.
Rappelons-nous que cette visite de Jésus au Temple survient au début du ministère de Jésus dans le récit du 4ème Évangile. Sa venue au Temple permet au Seigneur de donner un signal fort sur le projet qu’il porte. Tout juste avant, lors de sa participation à des noces, à Cana en Galilée, Jésus avait donné un premier signe de la nouveauté qu’il apportait. C’était le vin nouveau pour un festin nuptial! L’annonce d’épousailles à venir! Le geste que Jésus va poser au Temple sera lui aussi indicateur d’une nouveauté. Recadrer la prière en Israël, bien sûr. Sauver le Temple d’une dérive commerciale, d’une récupération païenne, c’est certain! Et tout ça, comment le faire
sans bousculer un peu les responsables du sanctuaire, sans poser un geste radical qui réveille leur conscience?
Mais, du coup, le Seigneur témoigne qu’un régime nouveau en train d’advenir en sa personne? L’évangéliste saint Jean a l’habitude de mener son discours sur plusieurs niveaux. Et quand il cite la parole du Psaume «L’amour de ta maison fera mon tourment. » C’est déjà de la Passion du Seigneur qu’il nous parle. Ce qui inspire Jésus, c’est l’amour - le tourment - qu’il a pour son Père et pour nous. Son geste d’emportement, il le fait pour Dieu et pour sauver l’alliance de Dieu avec les hommes.
L’évangéliste note que la venue de Jésus au Temple coïncide avec la Pâques juive. La Pâques, dans la mémoire du peuple, c’est le rappel de la sortie d’Égypte, de la délivrance qui a donné naissance à Israël et l’a mis en route vers la Terre promise. Le geste de Jésus dans le Temple s’inscrit dans le mouvement de cette libération pascale, de cette relation privilégiée d’Israël avec son Dieu, de la présence indéfectible du Seigneur à son peuple. Le Temple n’est-il pas le lieu béni de cette fidélité? D’où nous voyons la portée prophétique des paroles de Jésus, qui révèlent le sens de sa mission : le Fils bien-aimé incarné dans notre chair, sera le lieu nouveau de la rencontre, le Temple nouveau! « Détruisez ce temple, et moi je le rebâtirai en trois jours. »
Oui, Jésus nous bouscule. Il nous prend par les épaules. Il nous sauve de nos distractions et de nos éloignements. Il ouvre nos yeux à la lumière. C’est dans la grâce du Fils que nous serons hors de danger, libres et sauvés. Le Christ se met « en balance », il se livre en échange. Le sacrifice, c’est lui! Le Temple, c’est lui! Élevé en croix, il libère pour nous la source de vie. Glorifié en son être de chair au matin de Pâques, il confirme sa présence dans l’Église et dans le monde par les dons de l’Esprit, l’Amour vivant du Père et du Fils. Voici que le lieu béni où Dieu a voulu vivre désormais son alliance de communion et d’amour avec nous, c’est le Christ, le Fils du Dieu vivant et notre frère.
Fr Jacques Marcotte, O.P.
Québec, QC